TNT : quels besoins en formation pour les télévisions africaines ?
La migration des chaînes publiques africaines vers le tout
numérique en juin 2015 est une opportunité pour elles, mais suppose une
réflexion préalable sur l’organisation du paysage audiovisuel et les
offres de programmes qui demandent des actions de formation adaptées.
Sommaire
- - Un paysage audiovisuel à repenser
- - Les chaînes publiques africaines : une offre de contenus à améliorer
- - Des besoins en formation prioritaires
- - Comment organiser les formations ?
C’est demain,
que l’ensemble des télévisions africaines doit passer au « tout
numérique ». Bien qu’incertain encore dans plusieurs pays à la date
prévue (2015-2020), l’objectif annoncé comme partout où le numérique a
déjà remplacé un mode de diffusion en analogique, est le suivant :
libérer des fréquences pour faciliter l’accès à Internet à très haut
débit, multiplier le nombre de chaînes distribuées et améliorer leur
qualité de réception.
Chaque pays devrait ainsi bientôt disposer de nouveaux bouquets
numériques (ou multiplex) réunissant chacun de cinq à dix canaux, et
proposer de nouveaux services interactifs. Cette transformation du
paysage audiovisuel nécessite de repenser son encadrement et sa
réglementation, et va générer de nombreux besoins en savoir-faire et,
donc, en formations.
Un paysage audiovisuel à repenser
Ce
passage au tout numérique offre une opportunité sans précédent de
repenser les conditions dans lesquelles doivent être organisées les
offres de services en radio, télévision et Internet dans chacun des pays
concernés et de développer des synergies entre supports de diffusion.
Il demande une réflexion préalable sur l’architecture des réseaux
terrestres analogiques existants et les choix politiques à faire en
matière de couverture nationale pour la fourniture de ces différents
services. Il suppose que des arbitrages soient rendus pour ce qui
concerne notamment l’attribution et la gestion des fréquences, et les
normes techniques à appliquer, en particulier pour la diffusion. Il
suppose également que des choix soient faits entre services payants et
services gratuits entre, offre nationale, régionale ou locale.
Le passage au numérique des télévisions africaines va demander la
mise en place d’un cadre réglementaire et législatif adapté, qui devra
permettre en particulier de garantir la disponibilité sur le marché de
nouveaux récepteurs adaptés aux normes TNT, de définir les modalités
d’attribution de fréquences à des opérateurs nationaux et étrangers, et
les obligations qui seront faites aux opérateurs de bouquets de
reprendre les chaînes publiques. Il devra en outre instaurer une
véritable déontologie des contenus. Il sera aussi l’occasion de séparer
les activités de diffusion qui resteront contrôlées par l’État, des
activités d’édition des chaînes publiques ou privées.
Les autorités politiques africaines devront tenter de se prémunir contre la domination des GAFA Le
numérique va également faciliter le développement de nouveaux services
interactifs nationaux et panafricains et les autorités politiques
africaines devront tenter de se prémunir contre la domination des Apple,
Google, Amazon, Facebook, Netflix ou Youtube
qui génèrent une consommation de programmes individuelle et
« sur-mesure ». Déjà en Europe, il se vend près de trois fois plus de
smartphones, tablettes et ordinateurs que de téléviseurs. Rappelons que
la téléphonie mobile connaît aujourd’hui un taux de pénétration de 70 %
sur le continent africain !
Les chaînes publiques africaines : une offre de contenus à améliorer
L’offre
télévisuelle des chaînes africaines est pauvre en contenus nationaux,
en particulier dans les pays francophones. Les financements dont sont
dotées les télévisions publiques sont généralement peu élevés et ne leur
permettent pas de mettre en place une programmation très ambitieuse.
L’augmentation des ressources financières des chaînes publiques est donc
une condition essentielle de leur survie dans le contexte de vive
concurrence que va générer le numérique, en particulier avec des chaînes
étrangères. Leur financement doit être assuré par l’État pour la
réalisation de leurs missions de service public et le principe de
l’instauration d’une contribution annuelle des téléspectateurs doit leur
permettre de couvrir une partie importante de leurs dépenses, et de
planifier l’évolution de leurs activités sur des bases pluriannuelles.
Premier impératif : pour toucher le plus grand nombre de
téléspectateurs, les chaînes publiques doivent améliorer la couverture
du territoire national, notamment dans les zones rurales. Cela suppose
le développement de réseaux d’émetteurs qui vont sans doute constituer
l’essentiel des lourds investissements nécessaires à la transition
numérique. (Déployer la TNT dans des zones rurales généralement étendues
coûtera cher et restera difficile à rentabiliser. L’utilisation de
satellites pour relayer dans ces zones le signal TNT pourra utilement
être envisagée).
Le développement de chaînes thématiques nationales publiques n’est
envisageable qu’à des conditions économiques très favorables. Il sera
facilité par des échanges entre diffuseurs africains et par des accords
avec des opérateurs internationaux. À titre d’exemple, la CRTV,
l’organisme public camerounais de radio-télévision, doit lancer
prochainement une chaîne jeunesse avec le soutien du groupe Lagardère
selon un modèle économique (coûts d’investissement faibles) qui pourrait
êtrereproduit. Ce projet se distingue de Gulli Africa qui doit faire
partie de l'offre payante de Canalsat Afrique. Si la grille est inspirée
de Gulli, elle doit être constituée a minima de 25 % de productions africaines.
Les chaînes doivent apprendre à connaître les attentes des téléspectateurs
Ces chaînes doivent aussi apprendre à innover et d’abord à mieux
connaître les attentes de leurs téléspectateurs en matière de
programmation et de contenus de programmes ; elles devront tenter d’y
répondre mieux par une amélioration qualitative et une diversification
de leur offre. Leur traitement de l’information, confronté à la
concurrence de nouvelles chaînes, va devoir être davantage
professionnalisé et mis au service des téléspectateurs en toute
indépendance des partis politiques et de l’État.
Le contenu des programmes des chaînes publiques devra refléter
davantage leur mission citoyenne (favoriser l’expression des différents
courants politiques, économiques, sociaux et philosophiques du pays),
protéger leur identité culturelle, et tenir compte de l’appétence des
téléspectateurs pour des contenus de proximité (la création de chaînes
nationales à vocation patrimoniale pourrait constituer une alternative
économique au développement de chaînes régionales). Les programmes à
contenus internationaux devront être traités par ces chaînes sous un
angle particulier répondant plus spécifiquement aux attentes des publics
nationaux.
Les audiences vont devoir être mesurées régulièrement, aussi bien
quantitativement que qualitativement. Un rapprochement de tous les
éditeurs de programmes concernés avec les agences de publicité et les
principaux annonceurs semble devoir s’imposer pour faciliter la
réalisation de campagnes de mesures régulières qui devront faire
autorité. Déjà, TNS-Sofres et Médiamétrie proposent des campagnes
ciblées sur certains pays francophones et d’autres organismes, tels que
GFK et Nielsen, interviennent également en zones anglophones. Une vague
de mesures doit être lancée en 2015 dans les capitales de la Côte
d’Ivoire, du Sénégal, du Cameroun et de Madagascar. Médiamétrie
développe pour ce type d’action une stratégie de partenariat avec des
opérateurs africains. Le passage à la TNT pourrait peut-être à terme
autoriser l’exploitation de données d’audiences récupérées directement
sur les décodeurs équipés de puces électroniques.
La commercialisation des espaces publicitaires des chaînes
publiques demande également à être professionnalisée et doit permettre
de démontrer aux annonceurs que leurs investissements en télévision ont
un impact fort auprès de leurs publics cibles. Les écrans publicitaires
doivent être mieux valorisés en fonction des audiences. Dans ce domaine,
il apparaît que dans certains pays anglophones comme l’Afrique du Sud
et le Kenya, les télévisions sont engagées dans des processus de
commercialisation comparables en technicité à ceux des télévisions
européennes.
Le développement d’une véritable industrie africaine des programmes s’impose
Même s’il est important que les chaînes conservent des capacités de
production, le développement d’une véritable industrie africaine des
programmes s’impose à un moment où les besoins en contenus nationaux
vont sans doute exploser. Les pays africains doivent encourager le
développement d’un secteur indépendant de la production audiovisuelle,
capable de produire des programmes de flux et de stock à des conditions
économiques plus favorables qu’aujourd’hui. Produire plus, mieux et
moins cher est désormais possible comme l’a montré le Nigeria qui en
quelques années est devenu le deuxième producteur mondial de séries et fictions.
L’Afrique francophone devra aussi se doter de dispositifs de distribution de programmes inter africains plus performants.
Toutes ces améliorations devront s’appuyer sur des formations
spécifiques, permettant aux métiers concernés dans tous ces secteurs de
s’adapter aux nouveaux besoins générés par le passage au numérique.
Des besoins en formation prioritaires
Sans
prétendre être exhaustif dans l’analyse des besoins en formation des
télévisions publiques africaines, on peut légitimement citer plusieurs
objectifs prioritaires.
• Les actions de
sensibilisation aux enjeux réglementaires, au droit de l’audiovisuel et
du numérique (droits d’auteur, droits voisins droits à l’image, les
risques juridiques liés à l’exploitation de contenus, droit de
l’Internet…), notamment à destination de dirigeants politiques, de hauts
fonctionnaires attachés aux ministères concernés par la transition
numérique, et de dirigeants de structures de l’audiovisuel.
• Les actions relatives à
la stratégie et au management des contenus avec, en particulier,
l’élaboration d’une politique éditoriale, la construction de la
programmation, l’habillage d’une chaîne et les bandes annonces…. La
gestion des archives audiovisuelles constitue pour les responsables
d’antennes un enjeu.
• Les actions visant à
améliorer l’écriture et la réalisation d’œuvres audiovisuelles
(émissions de flux, projets de fictions, documentaires) et les actions
relatives à la gestion des productions..
• Les actions destinées à
la professionnalisation des journalistes avec, en particulier, la
pratique de l’interview, la réalisation de reportages et le journalisme
multimédia..
• Les actions de formation à
destination des ingénieurs et techniciens qui devront maîtriser toute
la chaîne du numérique. Ces actions sont d’autant plus nécessaires que
le passage au numérique va imposer une amélioration de la qualité des
signaux image et son et une modernisation des processus de fabrication..
• Des actions de formation
liées à la valorisation et à la commercialisation des antennes (en
particulier, la vente d’espaces publicitaires), ainsi qu’à
l’interprétation et à l’exploitation des résultats des mesures
d’audience. Les modalités de vente d’espaces publicitaires vont devoir
être professionnalisées afin que les recettes découlant de ces actions
puissent être plus efficacement affectées au seul développement des
chaînes.
Comment organiser les formations ?
Les
télévisions publiques africaines ne disposent ni de véritables budgets
de formation, ni d’une hiérarchisation suffisante de leurs besoins.
Elles restent souvent tributaires pour ce type d’actions d’agences
publiques gouvernementales, européennes ou nord-américaines, avec
lesquelles elles mettent au point des programmes d’assistance formatés
selon leurs besoins de développement et leur environnement technologique
et concurrentiel. CFI (Agence française de coopération médias) illustre
bien ce qui peut être fait en la matière avec ses interventions portant
aussi bien sur le management, la gestion des contenus, les problèmes
techniques à surmonter que sur le traitement de l’information.
CFI, dont les moyens budgétaires sont en baisse constante depuis
quelques années, est en concurrence directe sur ce créneau avec d’autres
acteurs, tels que la BBC, la Deutsche Welle ou Internews [+],
qui sont également très présents en Afrique. La mission de CFI est
pourtant jugée importante par les éditeurs publics de télévision
africains.
L’Ina, de son côté, propose un catalogue de formations dont la
réputation est depuis longtemps bien établie. L’Institut aurait intérêt à
développer une stratégie de partenariat avec des structures de
formation établies en Afrique. Des sociétés de formation africaines aux
métiers de l’audiovisuel commencent en effet à acquérir une certaine
notoriété. C’est le cas en particulier de la société Ipmica au Sénégal,
de l’Institut « Imagine » et des écoles Isis au Burkina, Écran au Togo,
Isma (Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel) au Bénin, Iftic
(Institut de formation aux techniques de l’information et de la
communication) au Niger, ainsi que de la prestigieuse école de cinéma de
Jos au Nigeria et de l’Institut Nafti (National Film and Télévision
Institute) au Ghana, véritable référence en Afrique anglophone.
Les acteurs publics français pourraient utilement s’inspirer de
nouvelles initiatives et offrir de nouveaux services en e-learning.
L’initiative prise par Rue89 qui propose désormais un « Massive Open
Online Course » (Mooc) — le premier en langue française sur le
journalisme numérique — mérite d’être prise en considération. Son
initiative vise à former, via Internet, des étudiants et des
professionnels aux meilleures pratiques du journalisme numérique et à
former des spécialistes des réseaux sociaux en les sensibilisant en
particulier aux enjeux de la sélection des sources et au contrôle des
contenus (ce type d’initiative doit pouvoir être étendu à d’autres
métiers de l’audiovisuel).
CFI et l’ESJ (École supérieure de journalisme de Lille) ont, de
leur côté conçu un site Internet dédié à la formation professionnelle de
journalistes dans le monde entier.
On peut enfin imaginer que les chaînes françaises présentes en Afrique (en particulier TV5 Monde, Canal+
et France 24), et l’ensemble des acteurs internationaux ayant
l’ambition de participer au développement de la TNT sur ce continent, se
voient imposer des obligations en matière de production africaine. Ces
obligations pourraient constituer une contrepartie à l’intégration de
ces chaînes dans des multiplex TNT nationaux, (et plus naturellement
encore pour celles qui bénéficieront du dispositif de « must carry »).
Elles pourraient se traduire par des engagements précis que ces chaînes
devraient prendre en faveur du développement de coproductions
impliquant des structures africaines et la formation d’experts africains
dans les métiers de la production-réalisation aux standards
internationaux. Ces engagements pourraient être complétés par
l’introduction de quotas d’œuvres d’origine africaine dans les volumes
diffusés par ces chaînes.
--
Crédits Photos :
- TV Tower / Magalie L'Abbé / Flickr
- e-nexus / Flickr
- Getting the shot / Krosinsky / Flickr
--
Crédits Photos :
- TV Tower / Magalie L'Abbé / Flickr
- e-nexus / Flickr
- Getting the shot / Krosinsky / Flickr
avec http://www.inaglobal.fr
Aucun commentaire