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Pourquoi le mouvement de foule à La Mecque a été si meurtrier

mecque - terrible drame de la bousculade2 635x250 1443111205mecquefoulePlus de 700 personnes sont décédées ce jeudi 24 septembre pendant le hadj. Au-delà de sept personnes par mètre carré, le moindre petit débordement peut rapidement devenir incontrôlable.

Un mouvement de foule meurtrier a endeuillé le hadj, le grand pèlerinage annuel des musulmans, ce jeudi. Au moins 717 personnes ont trouvé la mort et 805 ont été blessé à Mina, près de La Mecque, où environ deux millions de pèlerins étaient rassemblés.
Ce n'est pas la première fois. Sept bousculades majeures avaient déjà endeuillé le pèlerinage depuis les années 1990. Le plus meurtrier, en 1990, avait provoqué la mort de 1.426 pèlerins. Lors du plus récent, en 2006, 346 personnes avaient été tuées.

Pas de facteurs psychologiques et sociaux

Comment une foule composée de pèlerins –donc a priori ni pressés, ni poussés par un quelconque mouvement de panique– se transforme-t-elle en un piège mortel? L'écrivain Terry Pratchett raillait les comportements soi-disant irrationnels des foules par cette formule:

«Le degré d'intelligence de cette entité qu'on appelle une foule est inversement proportionnel au nombre d'individus qui la composent.»

C'est tout à fait faux. Les facteurs psychologiques ou sociaux n'ont que très peu d'impact lors de ce genre de situations. Mehdi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives à l'institut Max-Planck en Allemagne, est un des auteurs d'une étude publiée en 2006 qui fait référence sur le sujet.

Il explique que, dans le cas de l'incident à la Mecque, le facteur n°1 était la densité. Plus la densité d'une foule est basse, plus elle est fluide:

«Dans la vie quotidienne, on est à seulement 0,5 personnes par mètre carré. Là, les flux sont constants, il n'y a aucun problème.»

Une foule fluide obéit à des facteurs multiples: la direction, la vitesse, la masse de chaque individu, l'espace de «répulsion» entre les individus lié aux normes sociales, les stratégies d'évitement et de prédiction de collision que chacun met en œuvre (on a tendance à toujours croiser les gens par la droite), les éventuels obstacles rencontrés sur le parcours, les interactions sociales entre les individus (50 à 70 % des piétons ne se déplacent pas isolément mais en petits groupes)...

Mouvements de stop & go

À partir de ces différentes approches, les scientifiques aboutissent à des formules mathématiques qui leur permettent de modéliser le mouvement des foules et de concevoir, par exemple, des espaces publics plus confortables.

Mais quand la densité d'une foule atteint les 2 ou 3 personnes par mètres carré, les choses se compliquent. «Les premières perturbations vont avoir lieu. Des vagues de stop & go (ou mouvement en accordéon) se créent, et les gens vont alternativement avancer et s'arrêter.» Cette situation n'est pas dangereuse, quoiqu'elle puisse vite énerver, comme tout embouteillage.

À partir de 4 personnes par mètre carré, on observe une forte congestion. «C'est par exemple ce que l'on voit à la sortie d'une manifestation, comme un match de foot ou un concert. On va très doucement, mais il n'y a pas de danger.»

9 personnes par mètre carré à la Mecque

Puis arrive le seuil fatidique de 7 personnes par mètres carré. Les études scientifiques sont moins nombreuses sur le sujet, étant donné son caractère exceptionnel. La densité maximum, note le chercheur, a été observée justement lors d'un incident à la Mecque, en 2006: il y avait 9 personnes par mètres carré.

Dans cette situation, les facteurs cognitifs n'ont quasiment aucun rôle:

«C'est de la physique. Les gens vont commencer à se toucher entre eux. Le contact physique est un canal de propagation de force. Je touche mon voisin, qui touche son voisin, etc. Une vague de poussée va apparaître. Et lorsque cette vague arrive sur quelque chose de statique, comme un mur, on a un problème.»
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Lorsque le niveau de densité est très élevé, plusieurs vagues de poussée se forment spontanément dans toutes les directions. C'est cela qui provoque des mouvements involontaires, et donc des bousculades.

«Dans ces cas-là, la plupart des gens vont mourir par asphyxie. Ou alors ils vont tomber et se faire involontairement piétiner.»

Une fois les turbulences commencées, les individus de la foule vont également commencer à stresser et se laisser influencer par leurs émotions, ajoute le Dr. Guy Theraulaz, du CNRS, lui aussi auteur de l'étude:

«Pris dans une foule, les gens peuvent changer de comportement. (...) Mais il y a encore beaucoup de choses que l'on ne sait pas sur les foules. On commence à développer des techniques différentes, comme d'analyser le comportement des personnes grâce à des casques de réalité virtuelle».

Le rituel de la lapidation de Satan

Facteur aggravant dans le cas de l'incident de ce jeudi: la bousculade est survenue lorsqu'une marée humaine a quitté l'une des stèles où avait lieu le «rituel de lapidation de Satan» pendant qu'une foule venait en sens inverse. «Les flux bi-directionnels, comme le rétrécissement des voies, sont à éviter», pointe Mehdi Moussaïd.

Que faire pour empêcher ces situations de danger? Le phénomène étant lié aux lois de la physique, à ces forces inhérentes à la densité de la foule, inutile de se placer au-dessus de la foule avec une mégaphone pour exiger à tout le monde de se calmer. Il faut anticiper le problème.

«C'est de la logistique. Avec deux millions et demi de personnes sur place, c'est toujours une zone à risque. Il faut au maximum planifier les mouvements, savoir qui y va, à quel moment...».

Des consignes pas respectées

C'est ce qui avait été fait en 2006, avec succès. Aucun incident majeur n'a été à déplorer depuis. Mais cette année, les consignes n'ont vraisemblablement pas été respectées par les pèlerins. C'est ce qu'a déclaré le ministre saoudien de la santé Khaled al-Faleh:

«Si les pèlerins avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter ce genre d'accident. De nombreux pèlerins se mettent en mouvement sans respecter les horaires fixés par les responsables de la gestion des rites.»

Avec l'augmentation de la population planétaire, qui s'élève aujourd'hui à plus de sept milliards et se concentre en majorité dans les villes, des incidents comme celui-ci doivent nous mettre en garde.

«On est de plus en plus confrontés à la gestion de foule chez l'homme, acquiesce Guy Theraulaz. Une bonne idée serait de développer des applications connectées pour que les groupes puissent prendre des décisions collectives».

Le chercheur, éthologue, s'appuie sur ses études sur les bancs de poisson: quoique très nombreux, ils arrivent à échanger des informations et à se coordonner. L'être humain a encore beaucoup à apprendre.


avec slate.fr

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