À l'issue de la Grande Guerre, la fête nationale devient la fête de la
Victoire. Sur les Champs-Elysées défilent les mutilés, les maréchaux
Joffre et Foch, toutes les armées alliées, et enfin les troupes
françaises qui ferment la parade militaire.
Le 14 juillet, fête nationale française est
pour la majorité d'entre nous, synonyme de parades militaires, bals
populaires et de feux d'artifices. Or, cette journée du 14 juillet est devenue fête nationale depuis seulement 135 ans.
En
1880, après le dépôt du projet de loi par le député Benjamin Raspail,
la loi est adoptée et promulguée le 6 juillet. L'année précédente en
1879, la Marseillaise est choisie comme hymne national. Le choix d'une
date pour une fête nationale n'est jamais simple.
Quel jour
choisir dans le calendrier révolutionnaire? Pendant la première
république la prise de la Bastille est célébrée. Ensuite sous la
deuxième république, on opte pour commémorer l'ouverture des États
généraux le 4 mai 1789. De nombreuses autres dates sont proposées comme
le serment du jeu de paume le 20 juin 1789, l'abolition des privilèges
le 4 août 1789...
Finalement, le choix du 14 juillet permet de
mettre tout le monde d'accord: c'est une date à double interprétation:
le 14/07/1790 , fête de la Fédération contente les modérés, et le
14/07/1789, prise de la Bastille rappelle le rôle du peuple parisien
pour acquérir sa liberté. Cette fête nationale veut assurer la cohésion
nationale.
La première fête militaire date de juillet 1880. L'armée est à l'honneur, on la chouchoute après la défaite face aux Prussiens en 1870.
Le président Grévy remet aux régiments leurs nouveaux drapeaux et
étendards sur l'hippodrome de Longchamp: «Si rien n'a coûté au Pays pour
relever son armée, rien n'a coûté à l'armée pour seconder les efforts
du Pays, et par l'application au travail, par l'étude, par
l'instruction, par la discipline, elle est devenue pour la France une
garantie du respect qui lui est dû et de la paix qu'elle veut conserver.
Je vous en félicite et je vous en remercie. C'est dans ces sentiments
que le Gouvernement de la République va vous remettre ces drapeaux;
recevez-les comme un gage de sa profonde sympathie pour l'armée,
recevez-les comme des témoins de votre bravoure, de votre fidélité au
devoir; de votre dévouement à la France, qui vous confie, avec ces
nobles insignes, la défense de son honneur, de son territoire et de ses
lois» (Discours de Jules Grévy publié dans Le Figaro du 15 juillet 1880).
Aprés
la cérémonie des drapeaux le cortège militaire démarre. Puis un feu
d'artifice est tiré sur le haut de l'Arc-de-triomphe. Paris et de
nombreuses villes françaises font la fête pendant huit jours. Le
défilé de l'année 1919 est certainement le plus important de l'histoire
militaire. Toutes les armées alliées sont présentes. La parade se
termine avec la procession des chars d'assaut, symbole des nouvelles
forces mécanisées.
C'est le grand défilé de la victoire. (Le Traité de Versailles est signé le 28 juin 1919).
Dans la nuit du 14 au 15, des feux d'artifice sont tirés dans le ciel
de Paris. Le parcours du défilé se situe entre la porte Maillot et la
place de la République. Jusqu'en 1914, la fête s'est passée sur
l'hippodrome de Longchamp. Le premier défilé militaire sur les Champs
Élysées date de 1915 à l'occasion du transfert des cendres de Rouget de L'Isle.
En 1945, le défilé a lieu à la Bastille. Sous Giscard d'Estaing
(1974-1981), le Président déplace régulièrement le défilé dans la
capitale. 1974: Bastille-République, 1975: Cours de Vincennes, 1976:
Champs Élysées, 1977: Ecole militaire, 1978: Champs-Élysées et 1979:
République-Bastille.
Depuis 1981, le parcours est immuable: il
part toujours du haut de l'avenue des Champs-Elysées pour rejoindre la
place de la Concorde. Article paru dans Le Figaro du 15 juillet 1919.
La
Victoire est entrée le 14 juillet 1919 dans Paris. On l'attendait. On
pensait la connaître. On l'ignorait pourtant de même qu'en voyant planer
un aigle, on ignore la largeur de ses ailes.
Nous savions que
depuis bien des jours elle était parmi nous; nous savions qu'elle était
la plus belle et la plus noble que les hommes eussent jamais remportée
sur les hommes - et que, grâce à elle, la vie du monde allait pouvoir
continuer dans la robuste allégresse d'un monde et d'un labeur nouveaux.
Mais elle était pour ainsi dire éparse, diffuse, abstraite.
Nous ne l'avions pas vue. Nous l'avons vue le 14 juillet 1919 au matin.
C'était Elle! Et nous avons assisté à cette splendeur: le sacre de la
Victoire.
Pour une telle magnificence, il ne pouvait y avoir qu'une
voûte: le ciel; qu'une cathédrale: Paris; qu'une religion: la France.
Il
semblait à certains que le défilé des vainqueurs ne devait être en
somme qu'une émouvante et pieuse formalité. Quelle erreur! En un
instant, dans la pure et fraîche lumière de cette incomparable matinée
où le soleil lui aussi avait remporté sa victoire, nous avons tous senti
qu'entre l'instant où nos bataillons avaient disparu sous le monument
de pierre et celui où ils apparurent au sommet des Champs-Elysées, une
destinée s'était accomplie.
Nous avons tous senti que
brusquement toutes choses venaient de rentrer dans l'ordre, et de
reprendre leur place et leur rythme, que les plus grands mots de notre
langue, ceux dont la beauté a résisté à tout, même aux hommes
politiques: patrie, honneur, liberté, justice, sacrifice, s'étaient
regonflés de leur sens le plus noble et le plus exact, que notre
histoire accélérait sa marche sur la voie triomphale où elle avait
longtemps marqué le pas, et que les monuments eux-mêmes retrouvaient,
comme par miracle, leur véritable destination.
Le défilé de nos héroïsmes
Nous
avons tous senti qu'en cette heure si grande, qu'on doit renoncer à en
sentir toute la beauté, Hier se nouait à Demain par le fil bleu des
soldats, sur lesquels l'Arc de Triomphe, à mesure qu'ils passaient,
posait le sceau de la Gloire.
L'Arc de Triomphe! Nous étions
habitués à prononcer ce mot sans réfléchir à ce qu'il signifiait et à la
pensée qui l'avait élevé dans les rayons du soleil d'Austerlitz. Nous
ne songions plus qu'il n'avait d'autre but que de livrer passage à nos
troupes victorieuses. Il nous est réapparu le 14 juillet 1919, égal à
son Destin.
[…]
D'abord viennent les mutilés,
marchant et trébuchant dans leur gloire, et dont les bras et les jambes
sont restés là-bas, un peu partout, en Alsace, en Champagne, en
Lorraine, dans les Flandres. Ils n'ont pas d'uniformes. Leur uniforme,
c'est de ne pas être complets. Et il y a parmi eux des femmes. Et il y a
parmi eux un enfant. Et c'est à la fois le défilé de nos héroïsmes - et
de leurs crimes.
Les maréchaux ont voulu ne venir qu'ensuite.
Les voici: Joffre et Foch fiers simples et modestes, rayonnants aussi,
non point de leur victoire, mais de celle de leurs hommes. Ils semblent
réunir à eux deux toutes les vertus de la race l'énergie, le clair bon
sens, l'initiative, la volonté de tout sacrifier de leurs soldats à la
patrie - et d'eux-mêmes à leurs soldats. Ils marchent côte à côte, le
père et le grand-père. Il y a là celui qui a dit, bien qu'attaqué de
toutes parts et débordé sur son flanc: «Situation excellente.
J'attaque.» Il y a là celui qui a dit au lendemain de la victoire qui
sauva Paris: «N'illuminez pas, nous avons trop de morts». Il y a là les
deux hommes qui ont sauvé la France. Et voici
Pétain, à l'œil bleu, au sourcil blanc, à l'irrésistible vouloir, qui
organise, dirige, prévoit, ose, répare, obtient. Voici Castelnau, le
sauveur de Nancy et de notre aile droite, Castelnau qui, sans un
murmure, a vu mourir ses trois fils et a tout fait pour les rejoindre là
où il est sûr de les retrouver un jour. Il devrait être notre quatrième
maréchal. Mais que lui importe! Ses étoiles sont ailleurs. Voici Mangin
qui exige la victoire lorsqu'on ne la lui accorde pas. Voici Gouraud
qui n'a plus qu'un bras et qui l'aurait donné si volontiers, son cœur
suffisant à tout. Et voici Dégoutte, Humbert, Debeney, Berthelot, Hély
d'Oissel, Gérard, Fayolle, Maistre, et les autres et tous les autres
qui, chacun à sa place, à l'heure utile, au poste indiqué, a arraché à
l'ennemi un morceau de la victoire.
Les pays alliés défilent par ordre alphabétique
Voici
les armées alliées. Les Américains éclatant de force alerte, de robuste
jeunesse, et dont l'alignement, les uniformes et les armes sont aussi
bien tenus que la comptabilité. À leur tête, très droit, très froid,
marche le général Pershing, qui le jour même de son arrivée en France
était allé tout droit au tombeau du libérateur, et la main à la visière
de sa casquette, avait dit simplement: «La Fayette, nous voici!» Cela
aussi c'est de la comptabilité en bon ordre.
Les Belges sont plus
lourds, moins bien alignés, mais, ils respirent la forte quiétude
d'avoir accompli un redoutable devoir et d'avoir fait de leur pays, qui
était le pays du bien vivre, le pays du bien mourir. Ce sont ensuite les
détachements anglais, sir Douglas Haig en tête, cette infanterie si
souple, si élégante, si musclée qu'un cavalier ne saurait n'en pas être
jaloux.
Fifres allègres, cornemuses champêtres, Indiens
hiératiques, Ecossais aux jambes nues, les sections succèdent aux
sections, à l'ombre d'un peuple de drapeaux, si nombreux que l'on
n'aperçoit plus les mains qui les tiennent. Tout cela éclate en couleur,
en musique, en jeunesse, en force, en santé, et affirme la vigueur
d'une nation simple, cordiale et puissante.
Les Italiens passent. Ces
régiments-là ont laissé en Champagne la moitié de leurs effectifs.
Saluons-les très bas. Ils ont payé de leur sang une fraternité latine
que ni eux ni nous ne pouvons ni ne devons oublier. Ils défilent l'arme à
la main, le fusil horizontal, prêts à l'attaque, comme si Fiume était
dans les Champs-Elysées.
Voici les Japonais qui ressemblent à
une petite troupe d'ingénieurs intelligents, attentifs et malicieux et
qui représentent le péril jaune sous sa forme la plus sympathique.
Voici
les Portugais gris de fer, les Roumains où je reconnais, si pareils aux
nôtres, les admirables soldats de l'Oituz et de Marashesti; les Serbes,
qui évoquent leur épopée, et le pays où le plus vieux recrutement, dit
«de défense suprême», se compose des hommes au-dessus de soixante ans et
des enfants au-dessous de seize ans! Voici les Polonais, que tout un
passé de douleur ne semble pas avoir trop attristés- et qui portent le
bleu comme s'il avait toujours été leur horizon. Et voici les vaillants
Tchéco-Slovaques, qui me font songer à mon cher et admirable Stéfanick,
et les Siamois, qui me font songer à une féerie du Châtelet, et que nous
y reverrons peut-être un jour.
Je ne puis m'empêcher d'éprouver
et d'exprimer un regret celui de n'avoir pas aperçu parmi les troupes
alliées une section de soldats russes blessés. Ils n'auraient certes pas
représenté parmi nous l'armée de Lénine et de Trotsky, mais les deux
millions d'hommes qui sont tombés sur le front oriental dans les deux
premières années de la grande guerre. C'eût été un hommage et une
justice à leur rendre.
Le défilé des armées alliées s'achève.
Tous ces uniformes- de tous pays- certains jours ont été teints d'une
même couleur: celle du sang. Par là ils nous sont tous sacrés. Dans
quelques instants, ils passeront place de la Concorde. […]
Puis un grand espace vide, un
grand silence, un grand recueillement, l'attente de quelque chose
d'infiniment grand et d'infiniment beau et que voici: l'armée française.
Alors
un immense enthousiasme a soulevé tous les cœurs, le grand cri de la
reconnaissance unanime s'est élevé vers ces hommes. Les poilus
défilaient!
J'ai entendu une jeune femme de nationalité argentine
s'écrier: «Enfin, voilà nos poilus!» Je ne vois pas de plus grand et de
plus simple hommage - et plus justement décerné. Ce sont les poilus du
monde. Ils ont sauvé le monde.
Ils sourient. Ils ne se doutent
point de ce qu'ils sont et de ce qu'ils seront. Ils ont accompli une
épopée et ils ont des figures de chanson. Ils reviennent pareils, à
eux-mêmes, avec la même volonté de faire tout ce qu'il faut quand il
faut. Tels ils
étaient lors du grand départ, tels ils sont lors du grand retour. Ils
disaient: «On les aura». Ils disent: «On les a eus». Cela leur suffit.
Ils sont simples dans leurs paroles; leurs actions seules ont été
lyriques. Ils préfèrent cela. C'est leur manière. Ah! ceux-là ne
demandent rien, n'exigent rien. Ils n'ont pas- réclamé le courage de
huit heures, et sans protester contre la vie chère chaque jour depuis
cinq ans ils ont affronté la mort à bon marché. Nous avons salué tout ce
qu'ils nous rapportaient: la Victoire, la Paix, la confiance,
l'équilibre, le goût du bon sens, de la bonne humeur, de la bonne
entente, du bon espoir. Mais ils ne nous ont pas rapporté que cela: ils
nous ont aussi rapporté nos morts. Entre chaque section, dans les
espaces vides, il semblait qu'ils leur eussent réservé leur place.
Oui,
ils nous diront le dernier mot, le dernier geste, le dernier espoir de
ceux qui ne sont plus. Combien de douleurs ils apaiseront ainsi! Combien
de larmes ils sécheront en donnant à ceux qui pleurent la certitude
qu'il n'y a pas eu de deuils inutiles, et qu'à chacun des sacrifices
correspondent un lambeau de victoire [...].
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