Header Ads

Header ADS

Entre ruines et dépotoirs, les cimetières marocains en piteux état

Photos à l’appui, nos Observateurs à Casablanca et Tanger dénoncent l’abandon généralisé des cimetières au Maroc, dévorés par la végétation ou parfois même devenus des lieux de deal. Ils appellent à la mobilisation pour sauver les tombes de leurs aïeux.


Un rapport rendu en 2012 au ministère de l’Intérieur, cité par plusieurs médias marocains, ne faisait déjà pas de concession sur la situation des cimetières marocains, affirmant que "75 % des cimetières du royaume sont dans un état ‘catastrophique’ contre 15 % dans un état moyen et 10 % en bon état". Une autre étude, réalisée par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) en 2010, tirait un constat similaire, évoquant la saleté et la négligence et "des cas de profanation et de destruction de tombes historiques".

Son auteur, Jamal Brami, membre du CNDH, estime par ailleurs que les responsables administratifs et politiques qu’il a sollicités sur les solutions à apporter ne font preuve "d’aucune vision ni globale ni partielle" du problème auquel ils proposent des réponses "éparpillées et floues". Selon ce rapport encore, les cimetières les mieux entretenus sont ceux qui sont gérés par des associations privées, notamment les cimetières juifs et chrétiens.

En décembre 2014, le ministère marocain de l’Intérieur a annoncé que 700 millions de dirhams (environ 65 millions d’euros) seraient consacrés à la réhabilitation de 1 250 cimetières dans 120 communes du royaume d’ici à 2018.

En attendant, nos Observateurs à Casablanca et Tanger décrivent, à l’instar d’autres Marocains sur les forums des médias locaux, l’état de délabrement avancé des cimetières de leurs parents


"L’accès était totalement obstrué par la végétation et j’ai dû renoncer à me recueillir sur la tombe de mon père"
Nabil est banquier à Casablanca.
Mon père est enterré au cimetière du Chelh à Casablanca depuis quelques années et je me rends annuellement sur sa tombe pour me recueillir. Je mets quelques fleurs, je repeins les inscriptions sur la stèle et je lis un passage du Coran. Ce cimetière était bien entretenu jusqu’à récemment, mais depuis quelques années, il y a une négligence évidente et il se dégrade. 
 
L’an dernier, j’avais déjà eu du mal à accéder à la tombe. Il y avait des herbes hautes, des broussailles qui barraient le chemin, et je m’étais frayé un chemin avec une scie et un couteau. Mais cette année, c’était pire, l’accès était totalement obstrué par la végétation et j’ai dû renoncer. Car en plus c’est dangereux : il y a des serpents et des scorpions qui rodent et on risque de ne pas les voir tellement c’est touffu. Même bien équipé et avec des bottes, je ne me risquerais pas. J’ai donc décidé de prendre des photos pour témoigner.


Cet été, des Marocains immigrés en Europe viendront en vacances à Casablanca et j’espère que certains verront l’état du cimetière et le signaleront auprès des autorités. Dans le Coran, il est indiqué que l’on doit bien s’occuper de nos morts, mais franchement, regardez-moi ça ! Ce n’est vraiment pas respectueux.

"Les tombes s’entassent les unes sur les autres"
Seidour Ridouan, Marocain émigré en Belgique, a lancé une pétition et un groupe Facebook pour réhabiliter le cimetière Al Moudjahidine de Tanger, où est enterré son père.

J’ai lancé une pétition pour demander que le cimetière Al Moudjahidine de Tanger soit mieux entretenu, parce qu’il est dans un état déplorable. Des tombes sont à l’abandon, effondrées, les inscriptions sont illisibles d’autres sont recouvertes de déchets plastiques.
Mais ce qui m’agace particulièrement, c’est l’anarchie complète qui règne dans la disposition des tombes. J’ai enterré mon père en 2013, et quand j’ai demandé un emplacement, on m’a indiqué qu’il serait placé au fond, dans un coin qui n’est pas desservi par un chemin, car il n’y avait plus de place ailleurs.

Or, quelques temps après, j’ai constaté que parmi les tombes mieux placées, en bord des chemins, il y avait des personnes décédées après lui. Pour moi, c’est la preuve que tout le monde n’est pas traité à la même enseigne. Ça ne m’étonnerait que ces personnes aient eu des responsabilités ou aient été bien placées dans l’administration pour avoir eu droit à des traitements de faveur. Je suis convaincu que si j’avais payé un pot-de-vin, j’aurais pu avoir un meilleur emplacement pour mon père. Car ici, il n’est pas rare que les tombes s’entassent les unes sur les autres : comme certaines stèles ne sont pas entretenues par les familles, notamment les moins aisées qui n’en ont pas les moyens, on n’hésite pas à placer une nouvelle tombe sur les restes d’une ancienne. Je ne sais pas ce qu’il advient du cercueil dans ces cas-là…

Ce cimetière se trouve dans le quartier résidentiel et huppé "California" à Tanger, d’où on a vue sur la mer et l’océan, et où se construisent depuis quelques années de belles villas. Il y a une forte spéculation immobilière. Je soupçonne les autorités de laisser volontairement le cimetière à l’abandon dans l’espoir de le raser un jour pour permettre d’autres constructions. J’espère que ma pétition contribuera à empêcher cela, et que la promesse d’investissement du ministère de l’Intérieur sera tenue.

Contactés par France 24 pour savoir si des mesures étaient envisagées sur les deux cimetières décrits par nos Observateurs, les gouvernorats (willayas) de Casablanca et de Tanger-Tétouan n’ont pas répondu à nos sollicitations. Nous publierions leur réponse si elle nous parvient.

Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.

Aucun commentaire

Fourni par Blogger.