Immigration : les dessous de la politique de quotas
La Commission européenne présente ce mercredi un plan de refonte de la
politique d'immigration qui entend imposer un système de quotas de prise
en charge des demandeurs d'asile par pays. L'analyse de Guillaume
Lagane.
Face à
l'afflux de migrants, l'Europe veut faire avaliser par l'ONU des actions
militaires et mettre en place un système de quotas dans chaque pays membre. Que
vous inspire cette décision?
avec http://www.lefigaro.fr
Guillaume
Lagane est maître de conférences à Science-Po Paris, il est l'auteur de «Premiers pas en géopolitique» et de l'ouvrage Les grandes questions internationales en fiches paru
en 2013 aux éditions Ellipses.
Cette
nouvelle mesure reflète la volonté de procéder un peu de la même façon que pour
l'opération Atalante en Somalie en 2008. L'Union européenne et d'autres États
avaient déployé beaucoup de moyens navals pour prévenir et combattre la
piraterie au large des côtes du pays. Cette opération militaire, inscrite dans
le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, a été une
réussite puisque la Somalie n'est plus le premier foyer de la piraterie, place
actuellement occupée par l'Indonésie.
Cette mesure
manifeste une volonté de l'Union européenne de franchir une étape
supplémentaire.
Sur le
versant militaire, cette mesure manifeste une volonté de l'Union européenne de
franchir une étape supplémentaire. Elle reconnaît ainsi que le principal
problème n'est pas posé par la mer Méditerranée -qui fait déjà l'objet d'un
contrôle grâce aux opérations italienne Mare Nostrum et européenne Triton,
financées par l'agence Frontex- mais par le contrôle des foyers de départ, en
particulier des côtes libyennes, en l'absence d'un gouvernement unifié dans ce
pays. Rappelons aussi que les flux qui passent par la Méditerranée (30 000
personnes depuis le début de l'année 2015) sont spectaculaires mais
minoritaires, la plupart des flux d'immigration (1,5 millions par an) étant
terrestres et transitant par la Grèce ou encore la Bulgarie.
Le système
de quotas, lui, renvoie à la question des inégalités entre États membres.
Ceux-ci n'ont pas tous la même politique d'accueil des réfugiés -ce qui fait
d'ailleurs l'objet de critiques de l'ONU. Cette initiative forte de Jean-Claude
Juncker, pourtant issu du PPE, l'alliance des partis de droite au Parlement
européen, va à l'encontre de ce que souhaitent de nombreux gouvernements, en
particulier conservateurs. Elle a, par exemple, suscité des réactions négatives
de l'Angleterre de Cameron, tout juste réélu sur une promesse de réduire
l'immigration dans un archipel britannique traditionnellement très ouvert. Ou
encore de la Hongrie de Victor Orban (qui fait face à 60 000 demandes d'asile en
2014, autant que la France).
Quelles sont
les différentes situations rencontrées au sein de l'Union européenne en termes
de flux migratoires?
Il existe
une différence entre l'est, l'ouest et le sud de l'Union européenne.
Les pays du
Sud, comme l'Espagne, l'Italie, Malte et la Grèce, ne sont pas -et c'est un
euphémisme pour Athènes- en grande forme économique. Ils sont cependant situés
à l'arrivée des flux d'immigration. Ils constituent donc des foyers d'accueil
pour les migrants, qui y font souvent leur première demande d'asile.
Cette
initiative forte de Jean-Claude Juncker, pourtant issu du PPE, l'alliance des
partis de droite au Parlement européen, va à l'encontre de ce que souhaitent de
nombreux gouvernements, en particulier conservateurs.
Les pays de l'Ouest,
plus prospères, représentent, eux, les destinations finales. Il faut d'ailleurs
noter que, du point de vue du contrôle des flux, le fait d'appartenir ou non à
l'espace Schengen est assez indifférent, comme le souligne le nombre important
d'immigrés qui cherchent à se rendre en Angleterre - problème qu'illustre
Calais.
Les pays
d'Europe de l'Est sont dans une situation particulière car ils reçoivent peu de
flux d'immigrations et constituent, au contraire, des terres d'émigration. Par
exemple, les pays baltes ou la Pologne (les fameux «plombiers polonais»…)
perdent chaque année une part de leur population qui émigre vers l'Ouest. Le
rééquilibrage, induit par cette politique de quotas, pourrait paradoxalement
remédier à cette situation.
L'Union
européenne a, en effet, un problème démographique. Elle est constituée de 28
états-membres qui représentent 500 millions d'habitants. Sur ces 500 millions,
une trentaine de millions est constituée d'étranger qui ne sont pas nés dans le
pays dans lequel ils résident, dont une vingtaine est née hors de l'Union
européenne. Cette population augmente: chaque année entre 1 et 1,5 millions de
migrants pénètrent dans l'Union européenne.
Ces arrivées
pourraient donc être bénéfiques dans le sens où l'Union européenne a un taux de
fécondité trop bas pour assurer un renouvellement de sa population.
Ces arrivées
pourraient donc être bénéfiques dans le sens où l'Union européenne a un taux de
fécondité trop bas pour assurer un renouvellement de sa population (1,6 au lieu
de 2,1 enfants par femme). Sans ces flux d'immigrés, la population européenne
se réduira à l'horizon 2050, ce qui serait néfaste pour la croissance
économique et, plus globalement, le dynamisme du bien nommé Vieux Continent.
Ensuite, se pose la question, toujours très délicate, de la capacité des
sociétés européennes à intégrer ces populations nouvelles.
D'après le
document de travail dont Le Figaro a pris connaissance, la répartition
tiendrait compte du PIB, de la population, du taux de chômage et du nombre de
demandeurs d'asile déjà volontairement pris en charge. Dans ce cas de figure,
combien de migrants la France va-t-elle devoir accueillir?
Il est
difficile, car un peu prématuré, de pouvoir répondre à cette question
aujourd'hui.
Alors que
l'Europe de l'ouest a longtemps été une terre d'émigration (pensons aux Anglais
vers l'Amérique ou l'Australie, ou les Français vers l'Algérie), les flux de
migration se sont inversés après 1945. L'Europe de l'Ouest concentre donc les
populations étrangères: France, Allemagne et Royaume-Uni accueillent entre 5 et
6 millions d'étrangers chacun.
Alors que
l'Europe de l'ouest a longtemps été une terre d'émigration (pensons aux Anglais
vers l'Amérique ou l'Australie, ou les Français vers l'Algérie), les flux de migration
se sont inversés après 1945.
En France,
l'immigration se poursuit avec environ 250 000 personnes de plus chaque année,
ce qui est moins que l'Allemagne qui, elle, avec une population il est vrai
plus importante (80 millions contre 67), en accueille plutôt 500 000. La
répartition n'est d'ailleurs pas la même: l'Allemagne attire surtout les
Européens du sud et de l'est tandis qu'en France, du fait notamment de
l'héritage colonial, il s'agit plutôt d'une immigration extra-européenne. Le
même différentiel s'observe pour le droit d'asile: 60 000 personnes demandent
ce droit chaque année en France contre 200 000 en Allemagne, avec un taux
d'obtention du statut de réfugiés plus important Outre-Rhin. Cela explique
pourquoi Berlin est très favorable à la politique de répartition souhaitée par
la Commission européenne.
Au total,
cette nouvelle politique de l'Union européenne amène à s'interroger plus
largement. D'abord, sur le développement et la stabilisation des pays du Sud.
Sans arrêt de la guerre en Syrie et en Afghanistan, sans démocratisation de
l'est de l'Afrique (Erythrée par exemple), les situations du type Camp des
saints se poursuivront.
D'autre
part, sur le potentiel rétablissement d'une immigration économique, interdite
dans de nombreux pays européens (en 1974 en France), ce qui gonfle les chiffres
de demandes d'asile. Beaucoup de ces migrants ne sont pas, stricto sensu, des
réfugiés politiques, mais plutôt des personnes qui recherchent de meilleures
perspectives économiques.
avec http://www.lefigaro.fr
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