Eux & Nous - par Professeur Babacar GUEYE : Analyse juridique des termes du débat autour du projet de refonte constitutionnelle par voie référendaire
Le débat suscité par l’allocution du Président de la
République le 31 décembre à propos du référendum qu’il envisage d’organiser
pour réduire son mandat de 7 à 5 ans nous interpelle en tant que juriste et
Président du Réseau des observateurs citoyens (RESOCIT) et du Collectif des
organisations de la société civile pour les élections (COSCE) et nous commande
d’apporter un éclairage sur les deux points de droit que soulève la mise en
œuvre du référendum en question. Il
s’agit de la voie que le Président a choisi d’emprunter pour le référendum et
la valeur juridique de l’avis du conseil constitutionnel dans l’hypothèse où il
serait considéré par le Président de la République.
L’adoption d’une loi constitutionnelle ou d’une révision
constitutionnelle peut emprunter deux voies : parlementaire ou référendaire.
Dans le cas d’espèce, le Président de la République a opté pour la voie
référendaire et nous nous en félicitons car c’est l’itinéraire qui est conforme
à l’état de droit. La voie parlementaire serait une fraude à la constitution.
Deux dispositions de la constitution peuvent servir de base juridique pour
l’organisation d’un tel référendum : L’article 51 et l’article 103.
L’article 51 qui semble avoir la faveur du Président de la
République dispose en son alinéa premier que le Président de la République
peut, après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée nationale et du
Conseil Constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnel au
référendum.
Elle oblige le Président de la République de recueillir l’avis des
Présidents du Conseil Constitutionnel et de l’Assemblée Nationale. Cette
disposition peut donc servir de fondement juridique à l’adoption de tout projet
de loi constitutionnelle qu’il s’agisse d’une refonte ou d’une révision de la constitution.
Il en résulte que le Président de la République est obligé de recueillir l’avis
de ces deux autorités.
Quant à l’article 103, il est spécialement dédié à la
révision constitutionnelle et fait l’objet du titre VII de notre constitution.
Il dispose : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient
concurremment au Président de la République et aux députés. Le Premier ministre
peut proposer au Président de la République une révision de la Constitution. Le
projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté selon la
procédure de l’article 71. La révision est définitive après avoir été approuvée
par référendum. Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté au
référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre à
l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le projet ou la proposition n’est approuvé
que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés
».
Par conséquent, une fois le projet de loi de révision
adoptée par l’Assemblée nationale au sein de laquelle le Président de la
République dispose d’une très large majorité, ce dernier peut soumettre le
texte au peuple. Point n’est besoin de consulter le Président de l’Assemblée
Nationale ni celui du Conseil Constitutionnel.
Cet itinéraire nous parait plus
pertinent, plus sûr pour parvenir à la réduction du mandat présidentiel avec
effet rétroactif. Il suffisait pour ce faire de mentionner dans le projet de
loi soumis au référendum que la réduction envisagée s’applique au mandat en
cours.
Sur l’avis du conseil constitutionnel : Parce qu’il prévoit
une consultation pour avis, le recours à l’article 51 pourrait créer une
équivoque, une incertitude quant à la matérialisation de l’engagement du
Président de réduire son mandat de 7 à 5 ans en l’appliquant à son mandat en
cours. La polémique soulevée par l’annonce du Président de la république en
atteste.
La question qui se pose ici est de savoir si le Président de la
République est obligé de suivre l’avis qui lui sera donné par le Conseil
Constitutionnel sur la faisabilité du référendum et l’effet rétroactif de la
future loi constitutionnelle ?
Pour répondre à une telle question, nous
voudrions d’abord faire remarquer que les prérogatives du Conseil
Constitutionnel sont l’expression d’une compétence d’attribution qui se décline
en deux (2) fonctions : contentieuse et consultative.. En l’espèce, nous sommes
en présence non pas d’une compétence contentieuse qui appelle une décision
juridictionnelle, mais d’une compétence consultative donnant lieu à un avis.
Les juridictions constitutionnelles de tous les pays démocratiques assument ces
deux attributions. La fonction consultative est souvent utilisée pour des
vérifications particulières, ainsi le Conseil Constitutionnel français émet-il
un avis (consultatif) sur la réunion des conditions nécessaires à la mise en
œuvre de l’article 16 relatif au pouvoir du Président de la République en cas
de crise. De même, en Roumanie, la Cour Constitutionnelle donne un avis
consultatif sur la proposition de suspension du Président de la Roumanie de sa
fonction.
La compétence consultative consiste donc en des avis émis
par le Conseil Constitutionnel. On distingue à cet égard les avis conformes et
les avis consultatifs. Les premiers lient leurs destinataires, tandis que les
seconds sont purement consultatifs. L’avis conforme ne se présume pas ; il doit
être expressément prévu par le texte pertinent1. Or, l’article 51 de notre
constitution, comme la loi n°92-23 du 30 mai 1992 sur le conseil
constitutionnel n’exige aucun avis conforme de ce dernier en matière de
révision constitutionnelle.
Quant à l’avis consultatif, il peut être
obligatoire, mais non conforme. Autrement dit, le requérant est obligé de
saisir le Conseil Constitutionnel, mais l’avis de ce dernier ne le lie pas. En
l’espèce, nous sommes en présence de cette seconde hypothèse. Le Président de
la République est certes tenu de recueillir l’avis du conseil constitutionnel,
mais celui-ci ne saurait le lier.
Notre posture d’acteur de la
société civile nous commande de ne pas tirer de conclusions politiques
sur le choix ainsi fait. Mais nous sommes soucieux du maintien du standing du
Sénégal comme une des démocraties les plus avancées en Afrique et de la préservation
de la paix sociale dans notre pays. Aussi en appelons-nous à un dialogue
entre les acteurs sur cette question
pour lever les incompréhensions et éviter tout développement préjudiciable à
notre pays.
avec Professeur Babacar GUEYE,
Président du
RESOCIT et du collectif
des
organisations de la société civile pour
les
élections
1Voir Le Guide de légistique disponible sur le site internet
de légifrance dispose à cet égard qu’un
« Un avis conforme (c’est-à-dire un avis auquel l’autorité compétente
doit se conformer) n’est exigé que lorsqu’un texte le prévoit expressément.
Dans ce cas, l’organisme concerné doit être saisi du projet de texte ou de
décision.
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