Header Ads

Header ADS

Le procès de Hissène Habré révèle que ses crimes étaient aussi sexuels

D’un pas lent et digne, la tête couverte d’un voile, Khadija Hassan Zidane, Khatoulma Defallah, Haoua Brahim et Hadje Merami Ali ont traversé la salle d’audience dans le seul bruit du claquement de leurs talons et se sont présentées à la barre.

Plusieurs femmes ont déjà témoigné contre l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré jugé depuis la mi-juillet à Dakar pour crimes contre l’humanité, tortures et crimes de guerre. Et d’autres viendront après elles. Mais ces audiences du 19 au 22 octobre devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) avaient un caractère particulier : les violences que ces quatre femmes ont subies lors de leur détention au camp militaire de Ouadi-Doum et de Kalaït, au Tchad, entre 1988 et 1989, sont avant tout sexuelles.


Ce sont aujourd’hui des dames d’un âge mûr. Mais Haoua Brahim avait 13 ans lors de son arrestation. Comme d’autres, elle a été prise en otage par les services de sécurité (DDS et Sûreté nationale) pourforcer ses parents, soupçonnés d’être des agents libyens, à se rendre. « Agents libyens », l’accusation, à l’époque de la guerre du Tchad contre ce puissant voisin, permettait d’incriminer des populations tchadiennes « arabes », réprimées par le pouvoir depuis 1983.
Khatoulma Defallah a quant à elle été arrêtée pour ses origines hadjaraï, minorité ciblée depuis 1987 puis envoyée dans un camp à 500 kilomètres au nord de N’Djamena. Elle décrit les tâches domestiques qui leur ont été assignées. Mais cette ancienne hôtesse d’Air Afrique insiste : elles étaient avant tout destinées à y être les « objets sexuels » des militaires.

Coup de théâtre judiciaire

L’établissement des viols et crimes sexuels reste un enjeu essentiel et problématique du procès Habré. L’audience étant retransmise en direct au Sénégal et au Tchad, les mots sont retenus. « J’ai des enfants. Je ne peux pas vous en dire plus », lâche l’une d’elle. Leurs récits, toutefois, laissent deviner les viols, les avortements forcés. En mars 1989, à la suite d’une longue et retentissante campagne d’Amnesty International qui a désigné Haoua Brahim « prisonnière du mois », le calvaire de ces femmes a pris fin.


Le coup de théâtre judiciaire est survenu le 19 octobre. A la barre des CAE, Khadija Hassan Zidane confesse avoir été violée par ses gardes et leurs responsables hiérarchiques. Mais surtout, elle accuse Hissène Habré en personne de l’avoir violée à quatre reprises dans les locaux de la présidence, à N’Djamena, où elle était incarcérée juste après son arrestation. Ce témoignage a fait l’effet d’une bombe. Jamais durant l’instruction elle n’avait osé accuser directement le président déchu, jusque-là impassible dans son fauteuil. Il agite alors nerveusement son pied, un tic qui reviendra et semble trahir ses émotions.

Hissène Habré lors de son procès, 21 octobre 2015
Hissène Habré lors de son procès, 21 octobre 2015 CRÉDITS : JEAN-PIERRE BAT

Combat d’avant-garde

La Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO), une ONG qui regroupe les efforts de la société civile sénégalaise dans le cadre du procès Habré, a lutté avec Human Rights Watch pour faire inscrire le viol comme crime contre l’humanité dans l’affaire Habré. Cette demande n’a pas encore abouti. Le 14 octobre, les avocats des parties civiles ont remis un mémorandum aux CAE pourdemander la requalification des viols en crimes contre l’humanité.


En Afrique, la défense des droits des femmes est un combat d’avant-garde au sein des sociétés civiles. En septembre, les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) avaient censuré le film « L’Homme qui répare les femmes ». Ce documentaire du Belge Thierry Michel retrace l’action du gynécologue congolais Denis Mukwege en faveur des femmes victimes de viol de guerre dans l’est de la RDC. Lundi 19 octobre, le jour même de la déposition de Khadija Hassan Zidane devant les CAE à Dakar, la censure du gouvernement de Kinshasa à l’encontre du film a été levée. Une décision internationalement saluée.

A la veille de l’audition des victimes de Ouadi-Doum, dans une lettre ouverte adressée au procureur général des CAE, dix-sept organisations de défense des droits de la femme ont déploré le manque d’attention portée aux violences sexuelles : « Ne pas poursuivre Hissène Habré pour crimes sexuels serait un rendez-vous manqué avec l’histoire. »


Au bas de leur lettre figure la signature du docteur Mukwenge, qui ne cesse de rappeler que ce combat dépasse la seule arène juridique et judiciaire : « En plus des lois, il faut que la sanction sociale cesse defrapper la femme, écrit-il. Nous devons arriver au point où la victime obtient l’appui de la communauté et où l’homme qui commet le viol est la personne qui est stigmatisée, exclue et pénalisée par la communauté entière. »

avec Lemonde.fr

Aucun commentaire

Fourni par Blogger.