Wikileaks. Gesticulation ou géopolitique ? Par Jean-Claude Empereur [tribune libre]
WIKILEAKS : GESTICULATION OU GEOPOLITIQUE ?
LA FRANCE ET L’EUROPE FACE AU DÉFI DE L’ESPIONNAGE NUMÉRIQUE.
On
avait un peu oublié Edward Snowden et ses révélations fracassantes de
septembre 2013 sur la surveillance globale, exercée dans le monde
entier, par la National Security Agency(NSA) , l’agence américaine
d’espionnage numérique. Voilà que Julien Assange et Wikileaks nous
rafraichissent la mémoire : nos trois derniers présidents de la
République ont été régulièrement écoutés pendant des années.
Mais
depuis 2012, nous dit-on, la main sur le cœur, outre-Atlantique, tout
est rentré dans l’ordre. C’est fini, c’est promis, juré craché. C’est
quasiment par inadvertance que la NSA a posé ses écoutes sur les réseaux
de l’Elysée et qu’un étage supplémentaire, dissimulé sous un trompe
l’œil du meilleur effet, a été construit sur le toit de l’ambassade
américaine à Paris .
Naguère victime
de ces écoutes, Mme Merkel avait froncé le sourcil, pour la forme. On
apprenait un peu plus tard que son service de renseignement le Bundes
Nachrichten Dienst (BND) avait, sans doute aussi par hasard travaillé
pour le compte de la NSA à l’encontre de certains des partenaires
européens de l’Allemagne, au premier rang desquels : la France. Mais ce
n’était pas bien grave, puisque tout le monde en fait autant ce qui,
heureusement, est d’ailleurs exact, au moins pour ceux qui ont les
moyens de le faire. Cela n’avait pas empêché Barak et Angela de partager
il y a quelques jours, bière et saucisses au dernier sommet du G7 en
Bavière, dans une ambiance très conviviale, accessoirement antirusse
mais dans un cadre parfaitement « gemütlich »…
Que n’a-t-on entendu ces derniers temps sur ce sujet, mélange le plus souvent d’incompétence, d’hypocrisie ou de naïveté !
De
ce point de vue l’intervention de Manuel Valls à l’Assemblée Nationale
ou celle de Laurent Fabius à l’issue de la « convocation » de la
charmante Jane D. Hartley, au sourire entendu, « Ambassadeur des
Etats-Unis auprès de la République française et de la Principauté de
Monaco », sont de magnifiques exemples de la fausse indignation d’usage
dans ce genre de situation.
A moins
que Wikileaks, comme l’ont laissé entendre certains représentants de
Julien Assange ne reviennent à la charge avec des révélations beaucoup
plus troublantes, cet incident sera vite oublié.
D’une
manière générale l’opinion est induite en erreur dans ces affaires
d’espionnage de haute intensité par l’expression « d’écoutes » et
s’imagine, j’exagère à peine, encore au temps où, à l’image de très beau
film de Florian Von Donnersmarck « La vie des autres » on se
branchait, depuis une soupente, sur les lignes téléphoniques de ses
victimes.
Il n’est donc pas inutile
de regarder d’un peu plus près ce qui est réellement en jeu dans cette
affaire et ce qui distingue l’espionnage de la National Security Agency
de tous les autres.
Rappelons tout
d’abord que le budget annuel du renseignement américain est de 60
milliards de dollars. A titre de comparaison celui de la France est de 2
milliards d’euros. Ce qui n’est déjà pas si mal pour notre pays. Mais
rapporté à la population et aux intérêts en jeu l’écart reste
considérable.
La NSA est une
organisation tentaculaire qui couvre l’ensemble de la planète par ses
réseaux, ses stations d’écoute, dont certaines sont implantées en
Europe, Allemagne et Royaume-Uni, principalement, ses connexions et
accords de coopération avec de multiples services de renseignement.
Citons tout d’abord les « five eyes » historiques : US, GB, Australie,
Nouvelle Zélande, Canada, ensuite toute une série de partenaires plus ou
moins associés le Japon étant le plus récent d’entre eux.
La
NSA possède également des centres de recherche-développement orientés
vers la mise au point des programmes et logiciels de surveillance de
masse tels que Prism ou Keyscore que les révélations d’Edward Snowden
ont dévoilées et vers celles des techniques de décryptage et de
crypto-analyse ainsi que vers la conception de super-ordinateurs,
quantiques notamment.
Mais ce n’est
pas tout, l’agence ne cesse de passer des accords de coopération avec la
plupart des industriels ou opérateurs du numérique et des
télécommunications pour étoffer en permanence son système de collecte
des données.
Enfin la NSA est au cœur de la communauté du renseignement américain qui fédère au jour d’hui seize agences de renseignement.
Cette
agence qui gère, contrôle, surveille et stocke si besoin est l’ensemble
des échanges de données que génère quotidiennement l’activité de la
planète est en quelque sorte le « pivot numérique » de la stratégie
globale des Etats-Unis.
Ce tissu
informationnel et numérique dont les mailles se multiplient en se
rétrécissant sans cesse sont l’habit neuf dont se revêt de nos jours
l’hégémonie américaine.
Il constitue
le socle d’une forme nouvelle de la géopolitique, la géopolitique
numérique et le point d’appui d’une stratégie planétaire de « full
spectrum dominance ».
On constate
ainsi à quel point les révélations de Wikileaks concernant les écoutes
de nos présidents ont, par rapport à cette situation, un caractère
purement anecdotique .Elles ne sont, en effet, que l’arbre qui cache la
forêt.
Il est donc inutile d’invoquer
comme on le fait ces jours ci, à propos des révélations de Wikileaks,
la trahison de soi-disant relations de confiance et d’amitiés entre
« alliés ». Il est clair que, même si les américains, comme le souligne
judicieusement le député européen Arnaud Danjean, grand spécialiste des
problèmes de défense et de renseignement, se rendent coupables « d’abus
de position dominante, ce ne sont pas les démarches, dont le Premier
ministre a indiqué avec un joli mouvement du menton, devant la
représentation nationale ,qu’elles allaient être engagées sans délai
auprès des responsables américains, qui mettront fin à une telle
situation.
Il appartient aux
Européens de prendre conscience qu’ils se sont placés d’eux même en
situation de dépendance aujourd’hui vis-à-vis de l’Amérique et demain
,sans doute, vis à vis de la Chine .
Plutôt
que de se plaindre ou de gémir en ordre dispersé chaque fois qu’un
lanceur d’alerte se manifeste ils feraient mieux de réfléchir ensemble
puis de se doter des outils numériques sans lesquels ils ne pourront se
défendre efficacement dans le climat de guerre économique voire de
guerre tout court qui se répand sur le monde.
La
formulation d’une vision géopolitique numérique européenne est une
urgence absolue car la caractéristique du déploiement numérique des
activités humaines est d’être exponentielle.
Ceci
pour deux raisons : doublement de la capacité de traitement des
ordinateurs tous les deux ans et foisonnement ininterrompu des
connexions internet.
Il est temps que
nos concitoyens cessent de se lamenter et que leurs yeux se dessillent
car chaque seconde qui passe creuse un écart technologique qui finira,
si l’on n’y prend garde, par annihiler définitivement le peu de
souveraineté qui nous reste.
Jean-Claude Empereur
Géopolitologue.
Géopolitologue.
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2015, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.
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