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Pourquoi aime-t-on la musique ?

Pour les spécialistes de l’évolution, la musique est une véritable énigme : pourquoi notre espèce consacre-t-elle tant de temps et d’énergie à cette activité qui ne semble avoir aucun but concret ? Découvrez d'où vient notre goût pour la musique dans ce dossier.

La musique accompagne l’Homme depuis toujours. Comme le dirait Charles Darwin, elle est l’un des dons de l’humanité les plus mystérieux.
 
Quel est l'intérêt de la musique classique dans les grands magasins, des bandes-son des films ? Quel est le lien entre guitare et séduction ? Pourquoi un bébé se calme et s’endort quand sa maman se met à chanter ? Pourquoi dépensons-nous autant d’argent et d’énergie pour quelque chose d’apparemment si inutile ? 

Pour essayer de répondre à ces questions, il faut aller du côté des laboratoires de neurosciences, observer les singes et les autres animaux, observer les nouveau-nés qui écoutent de la musique, et étudier de prêt l’oreille et le cerveau. On peut peut-être y découvrir si la musique nous a donné un avantage évolutif. 

En suivant Darwin, nous nous interrogerons donc sur les liens entre musique et langage. Ensuite nous aborderons les effets de la musique sur notre cerveau et sur nos émotions, car si la musique n’était pas le fruit de l’adaptation, les aptitudes musicales pourraient venir de mécanismes auditifs génériques, les composants syntaxiques pourraient venir du langage et les caractères émotionnels pourraient être retrouvés dans d’autres sons d’importance biologique. Nous présenterons les résultats de quelques expériences menées sur les animaux et sur les nouveau-nés, pour comprendre la phylogenèse et l’ontogenèse de l’instinct musical.

La radio du matin, puis l’iPod dans les oreilles, la radio dans la voiture, au supermarché jusqu’à l’annonce de la fermeture, à la télé, dans chaque publicité ; notre vie est remplie de musique : le paysage sonore qui nous entoure est très varié. Souvent ce n’est pas nous qui le choisissons. Il est certain en revanche qu’il fait partie de notre vie depuis toujours.

La musique n’est pas un objet d’étude banal pour les scientifiques. Pour les spécialistes de l’évolution c’est un véritable casse-tête : pourquoi notre espèce consacre-t-elle beaucoup de temps et d’énergie à des activités comme jouer d’un instrument, danser, aller à un concert ou acheter un CD, qui apparemment n’ont aucun but concret ?
La musique est omniprésente dans notre vie. © Luis Fernández García Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.1 Spain
La musique est omniprésente dans notre vie. © Luis Fernández García Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.1 Spain

La plupart des activités humaines, comme manger, boire, parler, faire l’amour, ont un but biologique (probablement) évident. Nous mangeons pour survivre, faisons l’amour pour avoir une progéniture, parlons parce que la communication verbale, il y a quelques centaines de milliers d’années, a favorisé nos ancêtres parleurs au détriment de ceux qui ne pouvaient échanger d’informations. Mais la musique ? Pourquoi la musique ? 

La musique ne s’explique pas très bien par les mécanismes typiques de l’évolution que sont la sélection naturelle et la sélection sexuelle :
  • pour la sélection naturelle : quel avantage aurait-elle donné aux premiers hommes ? La capacité de chanter ou danser, par rapport à qui ne savait pas le faire ?
  • pour la sélection sexuelle non plus (la sélection à l’origine de certains caractères peu avantageux pour l’individu, comme la roue d’un paon, mais très avantageux pour son succès reproductif et par conséquent pour toute l’espèce) : dans ce cas, comment expliquer la musicalité d’un enfant et d’un homme âgé, ou l’absence de différence entre la musicalité des hommes et des femmes ?

Pour Darwin, la musique a fait partie de la sélection sexuelle

Même Darwin reconnaissait que la musique est « l’un des dons les plus mystérieux qui caractérise l’homme ». Cependant, à son avis, on pouvait trouver une explication dans la sélection sexuelle : les premières vocalises des nos ancêtres, disait Darwin, ont été émises pour faire la cour. Ils seraient à l’origine de la musique et ensuite du langage. Aujourd’hui, presque personne ne reconnait à la musique un rôle particulier dans la reproduction (on peut avoir une activité sexuelle sans le disque romantique de la première rencontre), en revanche, l’idée de Darwin au sujet des liens entre musique et langage reste à la base d’un débat important. Et c’est peut-être là qu’il faut chercher la réponse à la question : Pourquoi aime-t-on la musique ?

La musique : un effet collatéral de la sélection de caractères ?

Mais il y a peut-être une autre explication. La musique ne serait pas le fruit de l’adaptation (elle n’est pas un caractère favorable, dans un certain contexte, à la survie de qui le porte ou la survie de son espèce, et donc sélectionné par la nature au cours de l’évolution) mais pourrait être un effet collatéral de la sélection d’autres caractères qui ont, eux, ont favorisé les premiers ancêtres qui les ont présentés. 

Dans ce cas, la musique serait un peu comme les peintures des niches aux angles d’une coupole : même si le peintre y a dessiné des anges et des saints, la raison pour laquelle ils sont là c’est qu’en construisant une coupole, il est resté quatre niches à décorer. En particulier, le peintre, avec tout son art, a trouvé ensuite une utilisation agréable de ces morceaux de mur.
Le biologiste Stephen Jay Gould a étudié la musique en tant qu'effet collatéral de la sélection de caractères. © Kathy Chapman Creative Commons Paternité version 3.0 États-Unis
Le biologiste Stephen Jay Gould a étudié la musique en tant qu'effet collatéral de la sélection de caractères. © Kathy Chapman Creative Commons Paternité version 3.0 États-Unis
C’est l’explication que les biologistes Stephen J. Gould et Stephen C. Lewontin ont donné, dans l’article de 1976, aux caractères ne pouvant pas être qualifiés d’adaptation. La musique pourrait être un caractère de ce type, un effet collatéral.

Une capacité sélectionnée, aujourd'hui transformée en plaisir ?

Parmi les scientifiques qui soutiennent cette thèse, figure Steven Pinker, qui compare la musique à une bavaroise à la fraise : il ne faut pas se demander pourquoi l’évolution a sélectionnée notre goût pour la bavaroise à la fraise. L’évolution a rendu agréable à notre palais la crème (calorique et riche en gras) et les fruits frais (riches en eau, sucres et vitamines). Manger des aliments permettant de stocker des calories pour longtemps et de fournir des sucres rapidement a sûrement représenté un avantage pour la survie de nos ancêtres.

Aujourd’hui, nous utilisons ces saveurs pour préparer des tartes délicieuses mais l’évolution n’a plus rien à faire là dedans. Selon Pinker, dans le cas de la musique, nos capacités cognitives et perceptives ont été sélectionnées pour d’autres raisons, mais aujourd’hui, nous les utilisons pour profiter d’un beau concert, sans que l’évolution soit concernée.

Cette troisième explication laisse un peu perplexe les scientifiques qui étudient les liens entre musique et évolution. La musique est un caractère universel de l’humanité : tous les hommes, toutes les cultures, toutes les périodes historiques ont reconnu et apprécié la musique. Cependant, elle reste une explication plausible et c’est pour cela que la question « pourquoi aime-t-on la musique ? » devient : « si la musique est le fruit de l’adaptation, quel est l’avantage qu’elle a donné à nos ancêtres pour que l’évolution la sélectionne et la fasse arriver jusqu’à nous ? » 

C’est pour cela qu’il faut comprendre tout d’abord s’il s’agit vraiment d’une adaptation.

Chaque fois que quelqu’un ose dire que la musique ne sert à rien, une réfutation suit toujours activement : « ce n’est pas vrai, la musique communique des émotions. Elle sert à communiquer, tout comme le langage, mais elle a plus de couleur émotionnelle et moins de précision sémantique. » Et l’objection est juste. 

La musique a beaucoup de points en commun avec le langage. Cependant, la comparaison devient intéressante quand on étudie les structures cérébrales utilisées pour l’une et pour l’autre. Si elles coïncident ou se superposent largement, l’hypothèse selon laquelle la musique n’est pas le fruit de l’adaptation mais un produit collatéral (une « bavaroise à la fraise ») devient plus plausible. Car la musique aurait pu parasiter les structures du cerveau sélectionnées pour le langage. 

La musique aurait pu parasiter les structures du cerveau sélectionnées pour le langage. © V. Yakobchuk Fotolia
La musique aurait pu parasiter les structures du cerveau sélectionnées pour le langage. © V. Yakobchuk Fotolia

En revanche, si l’on trouvait une portion du cerveau, un circuit (ou un module, comme le dirait le psychologue américain Jerry Fodor) pour la musique seule, alors il faudrait comprendre pourquoi la musique a été sélectionnée par l’évolution. 

Par exemple, nous pourrions nous demander si la musique a précédé ou occasionné l’apparition du langage (comme le pensait Darwin), ou si les deux compétences sont nées à peu près en même temps, à partir d’un proto-quelque-chose. Jusqu’à un passé récent, pour étudier et localiser les fonctions du cerveau, il fallait attendre que quelqu’un tombe malade, ait un AVC (accident vasculaire cérébral), ou perde une fonction spécifique. Ensuite il fallait attendre l’autopsie du patient pour chercher le siège du dommage. Pour la musique, c’était encore plus difficile, car en plus d’une description clinique et anatomique claire, il fallait que le malade soit un musicien, quelqu’un qui ait une musicalité définie et évaluable.
Vissarion Shebalin, compositeur russe. © Wikimedia
Vissarion Shebalin, compositeur russe. © Wikimedia

Les cas cliniques célèbres

Ce fut le cas du compositeur russe Vissarion Shebalin, victime d’un AVC à l’hémisphère gauche du cerveau – l’autopsie fut exécutée par le psychologue soviétique Alexander Romanivic Luria – et du compositeur français Maurice Ravel, l’auteur du Bolero, victime lui aussi d’un AVC du côté gauche. Tous deux devinrent aphasiques, mais continuèrent de comprendre et apprécier la musique, même à des niveaux différents.
Maurice Ravel, célèbre compositeur français. © Wikimedia
Maurice Ravel, célèbre compositeur français. © Wikimedia

Les cas cliniques de Ravel et Shebalin concernent des personnes ayant subi une lésion à l’hémisphère gauche et qui, tout en ayant perdu la parole, ont conservé à des degrés divers leurs aptitudes musicales. Un cas similaire fut décrit pour la première fois en Suède en 1745, un homme qui ne pouvait dire que le mot « oui », mais qui chantait encore.

L'étonnante capacité musicale face aux lésions du langage

Pendant tout le XIXe siècle, on tenta d’identifier une aire de la musique comparable à celle de Broca pour le langage. En 1865, fut décrit le cas d’un musicien aphasique, mais sans amusie, et en 1871 paraissait dans la revue médicale Lancet le cas de deux enfants aphasiques, dont l’un était capable de chanter avec les paroles et l’autre seulement sans. Depuis, d’autres cas ont été décrits, concernant des personnes affligées d’un défaut de la parole, mais encore capables de jouer, de diriger un orchestre ou plus simplement de chanter. On en compte au moins une demi-douzaine au XIXe siècle.

L'hypothèse de l'importance de l'hémisphère cérébral

Nous pouvons toutefois dire que, le plus souvent, si la lésion est située à l’hémisphère gauche, il en découle un handicap de la musicalité et du langage, ou seulement du langage. Par exemple, on peut éprouver des difficultés à reconnaître les paroles parlées ou chantées. En revanche, dans les rares cas où l’on a observé une perte des facultés musicales non accompagnée d’une perte du langage, la lésion cérébrale était généralement située à droite.
Diana Deutsch, psychologue de l’université de Californie, a étudié les aires du langage. © DR
Diana Deutsch, psychologue de l’université de Californie, a étudié les aires du langage. © DR

Par ailleurs, les patients affligés d’un dommage à l’hémisphère droit ne semblent pas en mesure de reconnaître des mélodies chantées sans leurs paroles. La conclusion pourrait être que les aires du langage sont à gauche, alors que celles de la musique se trouvent à droite, ou principalement à droite. 

La séparation entre les deux fonctions a été étudiée par Diana Deutsch, psychologue de l’université de Californie. En 1969, elle réussit à démontrer que mémoire musicale et mémoire verbale sont deux fonctions indépendantes. Quelques années après, Doreen Kimura, psychologue canadienne, localisa ces deux fonctions en faisant écouter à un groupe de volontaires (exclusivement droitiers) de la musique dans une oreille, et simultanément dans l’autre, une voix qui énumérait des nombres. L’expérience mit en évidence pour la première fois un rôle prépondérant de l’hémisphère cérébral droit dans la mémoire musicale. 

Cette idée commença à être ébranlée en 1974 lorsqu’un article publié dans Science par les psychologues américains Thomas Bever et Robert Chiarello démontra que la prépondérance de l’hémisphère droit ne vaut que dans le cas de non-musiciens. Les musiciens, au contraire, reconnaissent avec une plus grande facilité les morceaux entendus grâce à l’oreille droite, ceux analysés donc par l’hémisphère gauche. Les auteurs conclurent que les fonctions analytiques – qui prévalent lors de l’écoute chez un musicien professionnel – s’exécutent à gauche alors que les expériences synthétiques, globalisantes, sont traitées à droite.

Mémoire musicale et mémoire du langage

Aujourd’hui, on sait qu’une distinction nette assignant un hémisphère à la musique et un autre au langage a peu de sens. Des recherches fondées sur des neuro-images le confirment : alors que les musiciens, confrontés à des exercices de reconnaissance harmonique ou mélodique, utilisent davantage la partie gauche du cerveau, les non-musiciens utilisent la partie droite. Les stratégies cognitives mises en œuvre lors de l’écoute de la musique sont donc différentes : il est probable que pour mémoriser et utiliser efficacement les données musicales, les musiciens utilisent aussi en partie des compétences verbales. 

Des expériences ont été effectuées à l’aide d’airs d’opéra, modifiés pour finir sur une fausse note ou une dernière parole erronée. Le temps de réaction du cerveau n’est pas le même dans les deux cas, et si la parole erronée coïncide avec la fausse note, les deux réactions se cumulent. On peut donc probablement affirmer qu’il existe des composantes de la musicalité dissociables du langage. Cependant, il existe aussi des composantes de la musique et du langage étroitement liées entre elles. Les cas des musiciens professionnels ayant subi un AVC confirme que ce lien est d’autant plus étroit que le niveau de spécialisation musicale est élevé.

Les avancées sur l'étude entre musique et langage

Grâce aux nouvelles techniques de diagnostic par imagerie, d’autres avancées ont été possibles. On a constaté, par exemple, que certaines fonctions cérébrales particulières comme la syntaxe, contribuent tant à la musicalité qu’au langage. Lorsque nous parlons, nous utilisons la syntaxe pour ordonner les mots au sein de la phrase : en français, nous mettons d’habitude le sujet avant le verbe, puis le complément d’objet. 

Lorsque nous avons affaire à la musique, la syntaxe semble faire la même chose, en disposant les sons à l’intérieur de phrases musicales. L’idée est que musique et langage partagent cette fonction, mais l’utilisent de manière différente.

La latéralité de la perception musicale

Une autre découverte récente a montré que le cortex auditif de l’hémisphère droit est plus habile à discriminer de façon fine les différences de hauteur entre les sons. De surcroît, des chercheurs français ayant étudié le cerveau de quarante-cinq personnes pendant une intervention neurochirurgicale, ont observé que dans le cortex droit la distribution tonotopique est évidente, alors qu’elle l’est beaucoup moins à gauche. 

On peut donc supposer que l’hémisphère droit est spécialisé dans la reconnaissance des hauteurs et l’hémisphère gauche dans celui des rythmes. Selon les chercheurs, derrière cette latéralisation se cacherait un facteur important : la nécessité de choisir entre vitesse et précision du traitement des informations sonores provenant de notre entourage. Parfois, il est plus utile de sacrifier le détail d’un stimulus sonore pour une plus grande rapidité de perception, comme dans le cas d’une conversation. Pour la musique, au contraire, le cerveau peut opter pour une modalité de compréhension plus lente mais plus détaillée. Par conséquent, on pourrait supposer que la musique, comme le langage, est née et a évolué comme des éléments d’un système plus vaste de reconnaissance des sons ambiants.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui nous ne sommes pas encore en mesure de localiser une région spécifique du cerveau consacrée à la musique. Les techniques d’imagerie cérébrales montrent plusieurs superpositions entre les régions activées par la musique et celles concernées par le langage. La neuropsychologie, en revanche, continue de trouver des cas cliniques montrant que la perte d’une aptitude n’implique pas des dommages dans l’autre, ce qui semble aller dans la direction d’une séparation des deux. 

Mais étudier les rapports entre musique et langage ne suffit peut-être pas à venir à bout de la question. Essayons alors de comprendre ce qui se passe chez les autres animaux. Eux, ne parlent pas du tout, au moins de notre point de vue.




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